Que représentent les Limites Maximales de l'AFSSA ?

Publié le par Gilles Grosjean

Rappelons d'abord qu'en matière de toxicologie, on distingue la toxicité à court terme, dite encore toxité aiguë, et la toxicité à long terme, dite aussi toxicité chronique. 

La toxicité aiguë désigne les effets nocifs résultant de l'exposition à une seule forte dose d'un produit ou d'une seule exposition à celui-ci.

La toxicité chronique résulte de l’exposition répétée d’un organisme vivant à de faibles doses d’une substance sur une longue période. 

Lorsque la toxicité d'une substance a été étudiée, il s'agit de déterminer les limites de doses auxquelles un organisme vivant peut être exposé (par inhalation, par contact ou par ingestion, ...) sans conséquences graves sur la santé.

En France, on parle de DJA (Dose Journalière Admissible) : exprimée en milligramme par kilo de poids corporel et par jour, elle désigne la quantité d’une substance donnée pouvant être ingérée quotidiennement par l'homme durant toute une vie sans entraîner de risque appréciable sur sa santé. A titre d'exemple, pour une substance dont la DJA serait de 2 mg/kg/j, une personne de 60 kg pourrait au maximum en ingérer une dose quotidienne de : 2 x 60 = 120 mg.

Aux Etats-Unis, l'équivalent de la DJA est la MRL (Maximum Residue Limit). Dès 1979, une étude menée pendant 2 ans sur des rats (Larson et al.), montre qu'une dose quotidienne de 0,05 mg/kg/j de chlordécone entraîne des dysfonctionnements reinaux importants. Les autorités en déduisent une MRL pour l'homme de 0,0005 mg/kg/j pour le chlordécone, en prenant une marge d'erreur d'un facteur 100.

Il faudra attendre 2003 pour qu'en France un premier avis de l'AFSSA fixe deux limites tolérables d'exposition pour l'homme, strictement équivalent aux MRL américaines :

  • L'une de 0,5 µg/kg de poids corporel et par jour pour l'exposition chronique,
  • L'autre de 10 µg/kg de poids corporel pour l'exposition aiguë.

Reste à établir le lien entre cette limite d'exposition quotidienne et la consommation de produits associée à leur degré de contamination. C'est le rôle de la limite maximale (LM), qui désigne une valeur de concentration d'une substance qu'un aliment ne doit pas dépasser pour pouvoir être consommé sans risque sur la santé. En 2005, l'AFSSA a réalisé une première évaluation de l'exposition de la population martiniquaise au chlordécone. Les conclusions de cette évaluation ont conduit les autorités françaises à fixer des limites maximales provisoires (LMp) de contamination des aliments :

  • 50 µg/kg de poids frais pour les aliments contribuant majoritairement à l'exposition chronique : carotte, dachine, patate douce, igname, poulet, melon, concombre et tomate,
  • 200 µg/kg de poids frais pour les autres aliments.

Depuis 2005, plusieurs études ont été lancées pour parfaire l'évaluation de l'exposition alimentaire de la population antillaise au chlordécone : 

  • des enquêtes sur les consommations et approvisionnements alimentaires (CALBAS et TIMOUN en Guadeloupe, ESCAL en Martinique),
  • les enquêtes RESO Martinique et Guadeloupe sur les niveaux de contamination des aliments disponibles dans le circuit de distribution antillais,
  • l'enquête HIBISCUS sur le niveau de contamination du lait maternel.

Les premières données disponibles ont conduit l'AFSSA à confirmer, dans le rapport de septembre 2007, ces limites maximales d'exposition.

Il est difficile de porter un jugement objectif sur la pertinence de ces valeurs. En faisant un calcul simple, on peut néanmoins constater qu'elles sont cohérentes avec les MRL américaines et les DJA françaises. Une consommation quotidienne de 400 g de légumes contaminés atteignant la LM (au delà de cette limite, ils ne devraient pas pouvoir être commercialisés), conduirait en effet à l'absorption de 20 µg de chlordécone. Valeur qui reste inférieure, pour un adulte de 70 kg, à sa DJA de 35 µg/jour.

Si les limites maximales autorisées dans l'alimentation, au même titre que l'ensemble des normes régissant les émissions de polluants (dans les transports, l'industrie, l'agriculture) sont aujourd'hui décriées par un nombre croissant de scientifiques, c'est pour une simple raison : leur valeur ne peut pas être le fruit d'études réalisées directement sur l'homme, mais uniquement sur les animaux. Or il est aujourd'hui imposible d'extrapoler les réactions d'un organisme vivant à une contamination, à partir des réactions d'un organisme vivant appartenant à une autre espèce. Au sein d'une même espèce, les réactions peuvent varier considérablement, en fonction de l'âge, du poids, de l'environnement...

En Martinique, les détracteurs des limites de l'AFSSA n'y voient qu'un moyen mis en place par les pouvoirs publics pour rassurer la population tout en ménageant l'agriculture martiniquaise. Ils soulignent notamment le fait que les limites maximales autorisés pour certains aliments (poissons, crustacés...) sont 2000 fois supérieures aux limites autorisées pour l'eau (0,1 µg/litre). Leur raisonnement est le suivant : comment peut-on nous expliquer que la limite pour l'eau est de 0,1 µg/litre, ce qui signifierait qu'au delà de cette limite, la consommation d'eau pourrait représenter un danger pour la santé humaine, et que cette limite est de 200 µg/kg pour du poisson !!!! Il est vrai qu'aucune explication sérieuse ne peut être aujourd'hui avancée. Cette incohérence illustre parfaitement les limites des LM et DJA exposées précédemment.

De leur côté, les pouvoirs publics insistent sur le fait qu'aucune étude ne permet d'infirmer le bien fondé de ces limites. Mais alors, pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution, comme le font les autres pays européens qui ont tous fixé à 10 µg/kg la limite maximale pour la commercialisation et la consommation des produits. (Cette valeur n'a cependant pas de fondements scientifiques, puisqu'elle correspond au seuil de détection de la molécule)

Publié dans Moyens de contrôle

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